Proposition graphique ou non dans un AO web ? That is the question

27 janvier 2023
  • Eclairage

Pourquoi exiger une piste graphique dans un AO web pose question

C’est un problème récurrent et plus que jamais d’actualité : on trouve encore très souvent des demandes de propositions graphiques dans les appels d’offres de projet web. Sans omettre de préciser que créer des maquettes graphiques fait partie intégrante de notre métier et que nous aimons cela, il s’agit d’une incongruité à ce stade qui conduit souvent à beaucoup d’incompréhensions, contribue à fausser le jugement des décideurs et accentue les inégalités entre agences modestes et grosses structures. On s’explique…

C’était mieux avant (ou pas)

Si l’on précise la date dans l’intitulé de ce paragraphe c’est parce qu’à la rigueur (à l’extrême rigueur), demander une proposition graphique dans un appel d’offres pour la création d’un site web public pouvait encore s’entendre il y a une douzaine d’années, une époque où la majeure partie de la production web partait encore à peu près sur la même ligne en termes de contraintes et d’obligations techniques et réglementaires. RGAA, écoconception, UX Design, UI Design, référencement naturel… Autant de spécifications techniques et réglementaires qui n’étaient alors pas incontournables dans la conception d’un site web… Soit autant de contraintes en moins sur le plan de l’aspect final du site. En clair, ça pouvait se tenter au stade de l’appel d’offres avec des livrables crédibles quant au rendu final (fin de projet)

50 nuances de cahier des charges

Aujourd’hui, produire une proposition graphique sur la base du cahier des charges standard fourni aux agences pour un appel d’offres revient à tenter de toucher la cible d’un jeu de fléchettes à 10m de distance avec les yeux bandés : un exercice potentiellement ludique mais dénué de sens et de fondement. Tout simplement parce qu’un site écoconstruit ne ressemblera en rien à un site qui ne l’est pas ou moins, parce qu’un site “mobile first” n’aura pas le même aspect qu’un équivalent “desktop first”. De même pour un site web dont l’ambition serait de respecter les 106 critères de contrôle RGAA (bon courage, cela dit…) versus un autre qui se limiterait à une cinquantaine de critères. Bref, demander de fournir une maquette graphique au stade de l’appel d’offre, c’est un peu comme demander à un architecte de proposer les plans d’une… “maison”, sans préciser pour qui, pour quoi, pour combien de personnes.

Un site web finalisé est une œuvre collective

Autre point important : un site web finalisé (qu’il s’agisse d’une création ou d’une refonte) n’est en aucun cas le fruit du travail exclusif d’une agence web, aussi talentueuse soit-elle, mais celui d’une collaboration étroite entre un maître d’ouvrage et un maître d’œuvre. L’expression aboutie d’une vision convergente ayant su tracer son sillon dans un maelstrom d’attentes et de contraintes, avec son lot d’arbitrages et de compromis. En résumé : produire un site web est le résultat d’une co-création, le fruit du travail collaboratif d’un donneur d’ordre d’une part et d’une agence conseil d’autre part

Au stade de l’appel d’offre, le demandeur a suffisamment de critères pour faire son choix

S’il s’agit simplement de s’assurer que l’agence candidate “sait faire une maquette”, l’émetteur de l’appel d’offres peut (choix multiples) : 

  • jeter un coup d’œil aux sites web de ces agences pour regarder ses réalisations ;
  • vérifier l’historique, la réputation, les effectifs de la structure
  • s’adresser aux agences web à l’origine de projets inspirants repérés sur la toile (mentions légales) 
  • sélectionner des agences avec lesquelles il a déjà travaillé et qui ont répondu aux attentes ;
  • etc.

Bref, pour un donneur d’ordre, ce ne sont pas les critères de décision qui manquent au moment de choisir les candidatures retenues. Donc, pourquoi en ajouter un supplémentaire et prendre le risque de biaiser sa perception globale avec une demande de maquette visuelle sans objet à ce stade ?

Conséquences négatives de demander des propositions graphiques dans l’AO

Cela génère de la déception à coup sûr

Parce qu’exprimer une demande de façon incomplète, imprécise ou désinvolte revient immanquablement à générer de la déception au niveau de la réponse fournie, il va sans dire que la présentation de livrables graphiques au stade de la réponse à appel d’offres n’a qu’une chance infime de répondre aux “attentes”. Et pour cause. Conséquence de cet état de fait : ces propositions graphiques affaiblissent le dossier, fragilisent le prestataire (qui a fait ce qu’il a pu, mais qui est passé à côté) et créent d’emblée un climat d’incompréhension, voire de méfiance. Pas idéal pour démarrer une relation de travail…

Autre impact, et pas des moindres : une proposition graphique a souvent pour effet de cannibaliser une réponse. Elle attire les regards et il est facile, même pour un novice en matière de web, de se positionner vis-à-vis d’elle (j’aime, j’aime pas) dans une approche souvent trop définitive. Elle peut surtout fausser le jugement que l’on aura sur la solidité du dossier de candidature sur bien d’autres aspects, autrement essentiels à ce stade. Bref, cet élément perturbateur peut simplement piper les dés si la proposition graphique déclenche un rejet massif… Un comble en somme.

Des candidats potentiels qui se détournent des AO

Au final, lassées de se faire retoquer sur la base de demandes de livrables impossibles à créer dans de bonnes conditions, mais plus sûrement usées d’avoir à produire des maquettes dans des conditions aussi aléatoires et coûteuses en termes de ressources mobilisées, de nombreuses structures finissent par ne plus répondre à ces appels d’offres. Problème, ce sont souvent de petites agences, parfois jeunes, non dénuées de compétences, d’énergie et de talent, mais qui ne peuvent simplement pas se permettre de participer à des compétitions déjà difficiles à remporter dans des conditions “normales”, eu égard à la concurrence et à des critères d’évaluation aussi aléatoires. D’autres agences, mieux dotées en ressources, choisiront dans une démarche plus cynique, de fournir des gabarits standards hâtivement mis aux couleurs du prospect, juste histoire de satisfaire à la demande et ne pas se faire éliminer d’emblée faute d’avoir fourni tous les éléments demandés.

Une situation qui fait le jeu des “grosses” agences

Finalité de ce processus : en excluant de fait des agences ou studio web modestes, ces demandes non justifiées de maquettes graphiques au stade de l’appel d’offres font le jeu des grosses structures en capacité d’industrialiser leur processus de réponse. Celles-ci disposent souvent d’une cellule dédiée aux appels d’offres et surtout de suffisamment de références récentes pour aller piocher dans leur stock des projets sensiblement proches de ceux auxquels elles candidatent.

Pour ces agences, il est plus simple de contourner la problématique et de passer sous les fourches caudines du hors-sujet éliminatoire en étant capables de fournir plusieurs scénarios graphiques selon les arbitrages qui seront faits ultérieurement. Un luxe que ne peuvent bien sûr pas se permettre les plus petites structures dans leur quotidien. Très présents sur les AO du secteur public (notre cœur de métier), c’est un constat que nous faisons  chez WeArePublic : le nombre de compétiteurs au départ des appels d’offres s’est considérablement réduit ces dernières années, au détriment des petites structures, bien sûr.

Deux options possibles pour rendre la démarche plus crédible à l’avenir…

Faire rédiger votre cahier des charges par un AMO

En règle générale, les AO encadrés par des assistants à maîtrise d’ouvrage ne demandent pas de pistes graphiques. Car ils savent que c’est sans intérêt. Un cahier des charges ne préconise rien en termes d’UX, il plante le décor général, décrit les attentes en termes de rubriques notamment, mais sans s’éterniser sur des aspects techniques spécifiques qui ont plus leur place dans une réunion de cadrage que dans un Cdc. Cela dit, un AMO sera légitime à demander une (ou deux, tant qu’à faire) piste(s) graphiques sur la base de spécifications précises correspondant à des projections réalistes quant au rendu final. On en revient à ce que l’on évoquait précédemment : on a plus de chances d’obtenir une réponse crédible et satisfaisante quand on fournit un brief précis et bien renseigné.

Des wireframes plutôt que des propositions graphiques

Autant la dimension aléatoire d’une demande de piste graphique tombe sous le sens, sauf si celle-ci est correctement exprimée (par un AMO, par exemple), une solution alternative sensée pourrait être de demander au candidat de produire un wireframe. Pour rappel, un wireframe est un outil utilisé dans la création de sites web pour planifier et organiser la disposition des éléments sur une page. Il s’agit d’une représentation simplifiée de l’interface utilisateur qui permet aux concepteurs de visualiser comment les différents éléments (texte, images, boutons, etc.) seront organisés sur la page avant de commencer à les créer. Dégagés des contingences purement graphiques (couleurs, photos, typos), ces gabarits peuvent se révéler utiles dans le cadre d’un appel d’offres, dés lors bien sûr que le prestataire dispose de suffisamment d’éléments pour le produire dans des conditions proches d’un mode projet.

Au final, la réponse à la question « Proposition graphique ou non dans un appel d’offres web ? » penche sans surprise et sans ambiguïté vers le non. Pour la simple et bonne raison que cela ne se justifie pas à ce stade de la compétition, qu’une piste graphique produite en mode aléatoire peut venir affaiblir la qualité d’un dossier de candidature et que cela contribue à dissuader certains candidats talentueux mais sous-staffé à ne pas prendre part à la compétition, au bénéfice d’agences au profil plus industriel (sans que cela remette en cause leur qualité et leur sérieux bien sûr…)