La sobriété numérique, un enjeu majeur

24 février 2022
  • Eclairage

Formulée pour la première fois par l’association GreenIt en 2008, l’expression « sobriété numérique » désigne une démarche qui « consiste à concevoir des services numériques plus sobres et à modérer ses usages numériques quotidiens ». Une formulation pas vraiment alarmiste à l’époque, autour d’une thématique devenue un sujet environnemental majeur, dans le sillage de l’explosion des usages du numérique durant ces 15 dernières années. Car oui, nos usages numériques ont aujourd’hui un impact considérable sur le réchauffement climatique, dont il convient de prendre la mesure pour mieux le limiter. En France, les choses bougent : la loi REEN, adoptée en novembre 2021 par le Sénat, définit une feuille de route assez stricte pour les villes et communautés de communes de plus de 50 000 habitants. Mais il reste encore du chemin à parcourir pour faire évoluer les comportements des « addicts » au numérique que nous sommes (presque) tous…

Le poids du numérique sur le plan environnemental

Un impact avéré sur le réchauffement climatique

Quelques chiffres explicites suffisent pour cadrer la problématique quand on évoque le poids du numérique dans le monde actuel et son impact sur le réchauffement climatique. 

Nous sommes un peu plus de 8 milliards d’êtres humains sur terre. D’après la Banque Mondiale, seule la moitié d’entre eux a accès à internet aujourd’hui. Pourtant, ce sont bien 35 milliards de terminaux numériques (ordinateurs, smartphones, tablettes, etc.) qui sont en circulation sur la planète. Soit en moyenne 9 terminaux par personne dans le monde occidental. Un chiffre qui situe bien le poids colossal du secteur numérique dans le monde d’aujourd’hui, et qui va continuer de progresser dans les années futures.

Une empreinte climatique en hausse constante

Résultat, le “numérique” dans son ensemble (digital en anglais) représente ainsi plus de 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) émis au niveau mondial. Une empreinte climatique qui se répartit à peu près équitablement entre la fabrication des équipements et leur utilisation via les data centers et les réseaux de télécommunication. Concrètement, le secteur joue un rôle avéré dans le réchauffement climatique. On parle bien ici du numérique dans son ensemble, c’est à dire :  

  • de la fabrication de serveurs et de périphériques (ordinateurs, smartphones, tablettes, etc.) ;
  • de la construction de data centers et d’infrastructures lourdes ;
  • de l’extraction des ressources (minerais et métaux rares en particulier) ;
  • des ressources énergétiques (électricité et pétrole) mobilisées pour faire tourner le secteur.

On estime que ce chiffre devrait doubler d’ici 2025 (c’est à dire demain) pour atteindre 8 à 9 % des émissions totales de GES émises par l’humanité. 

En France, ce total est évalué à 2 %, avec une projection à 7 % autour de 2040. 

À titre de comparaison, il faut savoir que le secteur aérien dans son ensemble équivaut à 2,5 % des émissions totales de GES dans le monde. Autant dire que la question de la sobriété numérique est (déjà) un sujet majeur sur le plan écologique.

L’impact carbone du numérique… et autres dégâts.

En faisant quelques recherches, on apprend que la production d’un téléviseur standard nécessite l’extraction de 2,5 tonnes de matières premières (600 kg pour un ordinateur portable), générant au passage 0,35 tonnes de CO2. Et plus ils sont complexes, plus leur poids s’alourdit. La fabrication d’un écran 4K pèsera bien plus lourd sur les écosystèmes qu’un téléviseur de 30 pouces. 

Autre exemple : celui des smartphones. Leur empreinte environnementale est considérable, notamment du fait de l’extraction des minerais nécessaires à leur fabrication, métaux ferreux et non ferreux qui entrent jusqu’à 60 % dans leur composition. Cuivre, aluminium, zinc, chrome, nickel, étain, or, argent, palladium, platine, cobalt, coltan, lithium, etc. Autant de métaux rares (déjà au bord de l’épuisement pour certains) dont l’extraction dans des pays comme la Chine, le Chili, la Bolivie, la République Démocratique du Congo s’effectuent dans des conditions bien souvent révoltantes sur le plan des droits humains et génèrent des phénomènes de pollution de l’eau et de l’air doublement problématiques. Et ce sans même évoquer les conflits armés qui accompagnent bien souvent l’exploitation de ces ressources rares et chères.

La sobriété numérique : une notion encore floue pour la plupart d’entre nous

Pas question de nier les formidables avancées sociales, sociétales… ou environnementales permises par le numérique dans nos sociétés, ni d’en minimiser les bénéfices générés par leur usage. Nous sommes tous conscients que l’empreinte carbone d’une heure de visioconférence réunissant virtuellement 10 personnes aux 4 coins de la planète est sans commune mesure avec celle d’autant de billets d’avions. Mais la question de la sobriété numérique, qui porte en elle des enjeux bien concrets, reste encore abstraite dans l’esprit de la plupart d’entre nous…

Un phénomène qui relève de l’impalpable

Au regard de la responsabilité de secteurs comme ceux des transports, de la construction, de l’élevage intensif, de l’énergie ou de l’industrie, la responsabilité du secteur numérique peut sembler anecdotique pour la plupart d’entre nous. Le non-sujet par excellence en regard des services rendus par les applications auxquelles nous nous connectons quotidiennement, sans percevoir (c’est humain) l’impact environnemental de nos comportements en ligne. Sans réaliser que la question devient chaque jour un peu plus décisive si l’on veut se donner une chance de rester dans les limites de l’acceptable quant à la hausse de la température de la planète à moyen terme. Ainsi, dans l’esprit des gens, la question de la hausse exponentielle de nos usages numériques relève de l’immatériel, de l’impalpable. Elle ne représente pas une menace pour l’espèce humaine, au même titre que la déforestation ou les énergies fossiles. Un important travail de pédagogie reste donc à faire pour que la question de la sobriété numérique émerge auprès du grand public. Il s’agit donc de la définir de façon précise, globale et intelligible.

Un concept non antagoniste

Selon l’Institut Rousseau (laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine), la sobriété numérique pourrait se définir comme « la prise en compte préalable du caractère non renouvelable des ressources mobilisées dans la fabrication, l’utilisation et la fin de vie des terminaux utilisateurs, infrastructures réseau et data centers, ainsi que la nécessité de gérer ce secteur de l’économie de façon raisonnée afin de le préserver pour les générations futures… Le concept de sobriété numérique ne cherche donc en aucun cas à lutter contre les nouvelles technologies informatiques ; il s’agit plutôt de trouver un point médian entre un monde sans technologie et un autre qui serait entièrement digitalisé, en choisissant des innovations qui soient en adéquation avec les limites physiques de la planète et les perspectives émancipatrices offertes aux individus. »

Une bonne base de départ pour avancer, car présentés ainsi, chacun peut percevoir les enjeux vitaux qui sont liés à la question de la sobriété numérique. Surtout dans un contexte inflationniste en termes de recours aux équipements numériques, renforcé par la crise sanitaire qui sévit dans le monde depuis 2020.

Les collectivités ont un rôle pédagogique et opérationnel à jouer en matière de sobriété numérique

Une faible compréhension des enjeux

Dans ce contexte, et même si certaines collectivités commencent à s’intéresser au sujet et à mener des actions concrètes (cf l’exemple que nous vous présentons ci-après), le sujet de la sobriété numérique reste logiquement un parent pauvre des priorités publiques. Plusieurs raisons à cela :

  • L’absence d’un champ d’analyse concret et d’une perception globale des enjeux et problématiques d’un sujet complexe et multi-critères.
  • La faible perception de l’impact des dégâts environnementaux effectivement générés par le secteur du numérique.
  • L’absence de contraintes logistiques ou économiques en matière d’équipements numériques, largement accessibles. 
  • La dimension sociale et “politique” d’une action concrète en faveur de la sobriété numérique peu évidente.

En résumé, la question de la sobriété numérique passe encore sous les radars des collectivités publiques, au bénéfice d’actions de sensibilisation ponctuelles (et relevant souvent du symbolique) sur certains sujets précis : l’usage de papier pour les imprimantes, l’extinction des périphériques non utilisés… Mais concrètement, les collectivités locales, peu sensibilisées à la question, n’ont jusqu’à présent pas jouer le rôle moteur qu’elle devrait endosser sur cette question.

Une loi pour faire bouger les choses

Les choses devraient commencer à changer en 2022…

Promulguée le 15 novembre 2021, la loi n°2021-1485 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France (loi REEN) devrait enfin, permettre à la question de la sobriété numérique d’émerger au premier plan des préoccupations des collectivités et du grand public. Cette loi ambitieuse s’articule autour de 5 axes majeurs, qui vont de la sensibilisation à la promotion d’une stratégie numérique responsable :

  1. Faire prendre conscience aux utilisateurs de l’impact environnemental du numérique 
  2. Limiter le renouvellement des terminaux 
  3. Faire émerger et développer des usages du numérique écologiquement vertueux 
  4. Promouvoir des centres de données et des réseaux moins énergivores
  5. Promouvoir une stratégie numérique responsable dans les territoires

Responsabiliser l’ensemble des acteurs du numérique

La loi REEN vise donc à responsabiliser l’ensemble des acteurs face à l’empreinte du numérique, dont l’empreinte pourrait atteindre 7 % de GES d’ici 2040. Elle oblige les communes de plus de 50 000 habitants (et les intercommunalités atteignant ce seuil) à définir « une stratégie numérique responsable qui indique notamment les objectifs de réduction de l’empreinte environnementale du numérique et les mesures mises en place pour les atteindre » (art. 26), et ce au plus tard le 1er janvier 2025. Avec obligation de définir un programme de travail préalable élaboré au plus tard le 1er janvier 2023. Les acteurs publics concernés par ces mesures n’ont donc que l’année 2022 pour se mettre en ordre de bataille.

WeArePublic et la sobriété numérique

Très impliquée sur le sujet de la sobriété numérique, WeArePublic promeut l’éco-conception web & print au quotidien auprès de ses clients. Notre agence mène actuellement une campagne de communication interne avec le département du Calvados autour de la thématique de la sobriété numérique. Enjeu : mobiliser l’ensemble des personnels sur le sujet via une démarche ludique et informative mélant vidéos, motion design et supports print autour d’un slogan fédérateur et humoristique. Nous dévoilerons bientôt les détails de cette ambitieuse initiative via une fiche projet dédiée et détaillée. 

Quelques ressources utiles pour aller plus loin :

Face au poids du numérique : l’impératif de sobriété (by Institut Rousseau)

La face cachée du numérique (PDF – by ADEME)

Rapport pour un numérique soutenable (PDF – by ARCEP)